Hackers (1995) : Toujours culte 30 ans plus tard

6 personnes adossées à un grillage

Publié le 15/09/2025, dans film, hacking

Hackers est un film écrit par Rafael Moreu et réalisé par Iain Softley sortie le 15 septembre 1995. Il met en scène un groupe de six hackers tentant de démonter la machination du directeur de la sécurité d'une firme pétrolière ayant créé un virus pour voler 25 millions de dollars et leur faire porter le chapeau. À sa sortie il rapporte 7,5 millions de dollars pour un budget d'environ 20 millions, est descendu par la critique et est encore aujourd'hui qualifié sur Rotten Tomatoes de « histoire clichée et décevante sans inspiration ». Et je vais vous expliquer pourquoi je pense que ce film sorti il y a pile 30 ans est un de ceux avec les meilleures représentations et compréhension de ce qu'est la culture hacker.

Les films de hacking et moi

Pour commencer, j'adore regarder des films de hacker ou qui traite du hacking (ou de l'informatique en général). J'essaye d'en voir plein, qu'ils soient bien… ou pas. Par exemple, j'adore le film WarGames sortie en 1983 qui est un excellent film anti-guerre qui parle principalement du fait que la machine ne remplace pas l'humain (ajoutez-le à votre liste de films à voir si ce n'est pas déjà fait).

Je pense que ce qui fait un bon film de hacker ce ne sont pas juste des scènes de pianotage sur un clavier ou une bonne mise en scène mais avant tout le message que l'on souhaite faire passer et si ce message est en accord avec les valeurs et visions du monde que je considère comme faisant partie des mentalités de la culture hacker. Et sur ce sujet je dois dire que Hackers est surprenant. Et plus on creuse, plus on se rend compte à quel point ce film un peu un ovni parmi les films du genre.

Je ne me souviens plus quand je l'ai vu pour la première fois, mais je me rappelle que j'avais bien rigolé devant : des scènes rythmées et hautes en couleur, des répliques inattendues (surtout si on regarde en français !), une histoire simple mais efficace et des musiques qui déchirent (par Prodigy, Underworld et Orbital entre autres) ! Puis je l'ai revu une seconde fois et je me suis demandé « Pourquoi il ne me fait pas le même effet que d'autres films de hackers ? » et je me suis mis·e à analyser ce film, à le regarder par morceau et surtout à le regarder en version originale (en anglais donc) et là j'ai compris…

Hackers n'est pas un film qui utilise les hackers pour raconter une histoire. C'est un film qui utilise une histoire pour nous faire comprendre les hackers.

Et contrairement à ce que beaucoup de personnes semblent penser, il le fait très bien. Mais pour ça il faut déjà le regarder en VO, car la traduction française est en bonne partie faite par des personnes qui n'ont juste pas compris le film (ni le leet speak d'ailleurs) mais aussi ne pas s'attendre à voir quelque chose de techniquement réaliste : on est là pour comprendre les valeurs de la culture hacker et pourquoi iels sont cools (des personnes qui font du roller, ont des bipeurs et ont l'air aussi queer sont forcément cools… non ?).

Représentation

Comme ce film est assez sympa avec sa représentation des hackers, je vais en parler en plus de la représentation qui est faite de la police et de l'entreprise.

Les hackers : un groupe diversifié

Parlons un peu de représentation des hackers donc : habituellement dans ces films le héros est plutôt un jeune homme blanc ayant entre 16 et 25 ans, génie de l'informatique. Hackers valide en partie ce cliché à travers du personnage de Crash Override (oui iels ont des pseudos qui déchirent) qui est en plus le cliché du gamin qui a piraté la bourse depuis sa chambre et est interdit d'approcher un ordinateur jusqu'à sa majorité (et porte des lunettes de soleil en intérieur, ouais y a quand-même quelques clichés classiques). Mais Crash n'est que l'un des six héros : celui qui sert à introduire le spectateur à l'univers des hackers new-yorkais, le nouveau du coin qui découvre les personnages et les lieux en même temps que nous.

Il y a également par ordre d'apparition à l'écran : The Phantom Phreak, un expert du phreaking (le hacking des réseaux téléphonique). Acid Burn, la hackeuse qui a dégagé Crash du réseau TV. Joey, un jeune « novice » en hacking. Cereal Killer, un anarchiste. Lord Nikon, un hacker connu pour sa mémoire photographique et son ingénierie sociale.

Oui l'un des personnages principaux est une femme. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser dans un film sur l'informatique, Acid Burn n'est pas ici pour être uniquement le « love interest » : Il est clair qu'elle est sexualisée mais Crash l'est aussi en partie à travers une scène miroir avec Acid Burn. Et surtout, elle n'est pas là pour être « la fille qui n'y connais rien en informatique », au contraire elle est montrée comme étant l'égale de Crash en termes de compétences de hacking. Ça nous change du personnage avec uniquement le rôle de la « femme support ».

Et oui, il y a également deux héros latino-américain et afro-américain. Hackers voulait coller à la représentation multiculturelle des groupes de hackers. On notera par ailleurs qu'en dehors d'Acid Burn qui a une vie aisée, la plupart des protagonistes ne semblent pas rouler sur l'or.

Les hackers sont représentés comme un groupe soudé au sein de leur communauté locale mais aussi par-delà les frontières : à la fin c'est grâce à la coopération de groupes de hackers à travers le monde que les héros arrivent à gagner du temps puis à détruire le super-ordinateur de l'entreprise.

On a bien sur aussi la représentation des hackers qui ne pensent qu'au profit à travers le personnage de Eugen (The Plague) et on comprend bien que ces derniers ne sont pas considérés comme de vrais hackers adhérant à la culture. Et il est absolument incroyable : un méchant façon nanar comme on les aime, option manteau en fourrure, skateboard, mimiques et citations inattendues.

La police : au service des entreprises

Durant le film on voit principalement 3 agents des services secrets : L'agent Gill, chef des services secrets qui coffre les hackers, aime se montrer à la télévision et qualifie les hackers de terroristes. Ray, un agent qui semble versé dans le milieu informatique et qui ne semble pas adhérer entièrement aux valeurs anti-hacker de ses collègues. Un agent non nommé, qui lis un manifeste hacker (un bout de celui de The Mentor) en le qualifiant de propagande communiste.

La police fonctionne main dans la main avec l'entreprise pour enfermer les hackers qui sont considérés comme de dangereux voleurs et terroristes.

L'entreprise : entité glaciale pour hackers anti-social

L'antagoniste principal, The Plague, est le seul hacker du film à travailler pour une entreprise. C'est lui qui envoie un ordinateur portable à Crash avec un message vidéo lui expliquant le « nouvel ordre mondial » dans lequel selon lui les hackers sont des samouraïs au service des gouvernements et entreprises qui ont besoin d'eux. Il est l'image des « hackers » corporates égoïstes qui considèrent les non-hackers comme « du bétail » et veulent s'enrichir sans considération pour le commun.

Montrer le hacking

Quand un film qui parle de hacker ou d'informatique ne plaît pas, c'est parfois (souvent ?) aussi car les scènes de hacking sont mauvaises, incohérentes, voir totalement absurdes. Surtout pour un public d'expert en informatique.

Du coup qu'en est-il dans Hackers ?

Les interfaces

Montrer du hacking (ou plus généralement de l'interaction avec un ordinateur) au cinéma passe majoritairement par de la FUI (Fictionnal User Interface) : C'est tout un métier que de réfléchir et concevoir des interfaces graphiques pour des films afin de faire comprendre aux spectateur·ices l'enjeu de ce qui se déroule à l'écran sans perdre les personnes les moins techniques.

Certains films ou séries sont connus pour leurs scènes totalement absurdes comme dans la série NCIS où deux personnages tapent en même temps sur le même clavier. D'autres sont adulés pour leur réalisme comme l'usage des vraies commandes nmap et ssh dans Matrix ou encore les nombreuses scènes de la série Mr Robot.

Sur ce plan, Hackers a fait rire beaucoup de personnes. Entre la découverte du programme malveillant qui dessine des arabesques aux tons oranges/mauves psychédélique avec des formules mathématiques et les scènes de hacking sur les ordinateurs de chacun des protagonistes qui ont tous une interface spécifique pour leurs ordinateurs, plus amusantes les unes que les autres.

Beaucoup de personnes ont trouvé ça ridicule : « C'est pas réaliste », « c'est du n'importe quoi, encore un film qui pige pas ce qu'est l'informatique », etc. Et c'est un peu ce que j'ai pensé lors de mon premier visionnage du film il y a quelques années. Mais en le revoyant une seconde fois, il m'a paru évident que ces interfaces ne sont pas l'œuvre d'une personne qui « n'a rien compris » mais au contraire de quelqu'un qui a bien cerné l'état d'esprit des hackers.

Déjà les interfaces des ordinateurs pour commencer : Elles ont toutes des couleurs chaudes, avec des icônes, symboles et fond d'écrans qui reflète la personnalité de la personne qui possède la machine. Elles sont agencées différemment, ne marche clairement pas de la même manière. Elles représentent bien la diversité des individus et leur créativité. À contrario l'interface du Gibson, le super-ordinateur de l'entreprise pétrolière, n'est faite que de couleurs froides, le système de fichier est représenté par un ensemble de tours transparentes faisant directement référence aux immenses immeubles d'un quartier d'affaire, tout comme le super-ordinateur qui est représenté par une immense tour parcourue d'électricité. On est face à un monolithe glacial, symbole de l'entreprise qui transforme les humains en numéros.

Puis le programme malveillant : Quand nos personnages le découvrent c'est systématiquement au travers d'une scène durant laquelle ils ouvrent le fichier et ce dernier révèle une animation de rubans orangés sur fond mauve composés de formules mathématiques qui danse sous les yeux du hacker qui ne peut détacher son regard de l'écran alors que ce dernier éclaire son visage. Ce n'est pas une incompréhension de ce qu'est un programme (dont on verra par la suite une représentation bien plus classique et cohérente avec la réalité, en hexadécimal), c'est une licence poétique. Le but de cette scène n'est pas de nous montrer le programme tel qu'il est vraiment mais tel qu'il est aux yeux du hacker expert qui le découvre : une œuvre d'art. Un programme bien écrit et pensé, et ce malgré son objectif égoïste.

Le matériel

Le matériel joue un rôle tout aussi important que l'interface, on se souvient des ordinateurs de fiction par leur aspect physique : l'œil rouge dans le rectangle noir de HAL dans 2001, L'Odysée de l'espace, le WOPR de WarGames avec ses nombreuses diodes, etc.

Les ordinateurs portables des héros de Hackers sont tous modifiés : L'écran de Cereal Killer est encadré de motifs psychédéliques, celui de Lord Nikon arbore une feuille et un sticker « Supreme », celui d'Acid Burn a un grand sticker « K » sur le capot et un requin, etc (il faudra d'ailleurs que j'écrive un article à propos des stickers sur les ordinateurs un jour). Une scène montre Crash Override qui peint son clavier, les ordinateurs sont des objets importants pour les héros, ils en prennent soin et les personnalise.

En parlant de clavier, on peut également citer celui de Joey, dont la majorité des touches sont couvertes de stickers visiblement faits main, venant surement de magazines.

À contrario les ordinateurs des antagonistes sont tous « nus » : pas de décoration, pas de spécificité, des machines « sans âme ». The Plague a un ordinateur terne dans son bureau, sans la moindre décoration, totalement impersonnel et intégré au sein des locaux de l'entreprise.

Idem pour le Gibson, super-ordinateur de l'entreprise, qui est représenté majoritairement par une salle technique dans laquelle les tours de verre du système de fichiers sont physiquement présentent. Un immense écran trône au centre de la salle, devant lequel un grand pupitre de commande constitué de deux claviers translucides sans la moindre indication servira de poste de contrôle au hacker malveillant pour lancer ses attaques contre les héros.

Sinon les héros ont aussi des bipeurs (comme moi d'ailleurs) pour s'envoyer des messages, des rollers, et des tenues incroyables : entre les hauts absolument fabuleuuuuuuuuuuux de Phreak, Joey avec sa casquette à l'envers, l'incroyable veste de Cereal Killer et bien sur les tenus en latex, on a droit à de sacrés costumes. D'ailleurs, les vidéastes de Hackers Curator en ont recréé certains.

La production du film

Ce film nous montre différents aspects de l'éthique des hackers : des personnages imprégnés de culture populaire, qui veulent un accès libre à l'information, acceptant dans leurs groupes toute personne qui a fait ses preuves ou désire les faire. Un groupe diversifié (même si on est sur un anti-racisme très « on ne voit pas les couleurs », quelques scènes du film soulignent le racisme des médias et de la police). À ce sujet Janet Graham, co-productrice du film, dira : « Voici ces jeunes brillants, qui sont multiethniques, multiculturels et issus de toutes les strates de la société. Ni nerds ni terroristes, ils sont devenus experts dans un domaine dont la plupart d'entre nous commencent à peine à comprendre les implications. ».

Il montre aussi l'une des parties moins acceptable des communautés hackers : leur élitisme. Tout le long du film les différents héros se qualifie de « elite » pour dire qu'ils sont des hackers confirmés.

Malgré les critiques qui lui sont faites, Hackers serait donc un bon film de hackers ?

Oui, d'ailleurs quand on se penche un peu sur les références qui parsèment l'intrigue, on se rend bien compte qu'on n'est pas face à un film dont le scénariste ignore tout de la culture hacker et cyberpunk de l'époque. La première scène de hacking inclus de l'ingénierie sociale, on retrouve des références au phreaking et à des auteurs de science-fiction cyberpunk, on souligne l'importance de l'identité choisie à travers les pseudos, on cite des titres de livres classiques et le manifeste hacker de The Mentor, etc.

Quand on regarde le parcours de Rafael Moreux, le scénariste, ça n'a rien de surprenant : intéressé par l'informatique depuis sa jeunesse, il a pour les besoins du film rencontré des hackers du 2600 (un magazine de hack lancé dans les années 80 et dont l'éditeur utilise le pseudo de… Emmanuel Goldstein), passé du temps avec de jeunes hackers harcelés par le gouvernement pour comprendre leur vie, participé à des conventions. Et les actrices et acteurs ont passé trois semaines ensemble pour apprendre à taper sur un clavier, comprendre la culture hacker, participer à des conventions et apprendre à se connaître.

Ce film n'est donc pas un navet ni même mauvais, c'est une ode à la contre-culture hacker et cyberpunk avec cette patte des années 90.

Conclusion

Hackers est un film à la fois divertissant et authentique dont le scénariste a pris à cœur de représenter fidèlement l'esprit hacker et de la culture cyberpunk des années 80 et 90. Une histoire simple, des personnages hauts en couleur, des scènes de hack mémorables et de super citations. Même s'il n'a pas eu de succès à sa sortie, il est depuis considéré comme culte et particulièrement apprécié au sein de communautés de hackers.

Un super film à voir et revoir, même 30 ans plus tard, entre hackers et non-hackers pour partager nos états d'esprits et se souvenir qu'en informatique, comme dans les autres domaines, tout ce qu'on veut c'est :

Hack the planet!


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